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Entre aperçus

La commande photographique laisse peu de marge au travail personnel si on désire qu’il touche à l’artistique. Spécialisée dans la photo de reportage culturel et de spectacle, collaboratrice de la première heure à Zibeline, Agnès Mellon, dont on a pu apprécier la précédente expo au KLAP, pose quelques jalons personnels au Théâtre des Salins dont elle a  souvent arpenté les coulisses. La sélection proposée (on en attendrait un peu plus) se concentre sur les moments de préparation des artistes à l’affiche lors cette saison martégale. Fidèle à sa posture de proximité la photographe capte en plans très rapprochés la présence et le geste hors scène grâce à sa part de détail. «Pour cette expo j’étais vraiment dans le portrait, pour entrer dans l’intimité, dans le geste qui prépare…»

Car elle ne conçoit pas le détail comme une métonymie visuelle, un simple prélèvement d’un ensemble (un corps, un groupe, un instrument, une scène…). Elle le capte selon ce qui serait à voir et éprouver au-delà de l’information photographique. «Au moment où il va entrer en scène le masque de l’artiste apparaît doucement mais les traits, l’intimité restent présents.» Ainsi l’essentiel a lieu moins dans le hors-champ que dans le hors-cadre : l’au-delà de l’image. Ce qui est aperçu dans certains clichés relève plutôt de l’entre-vu, de ce qui est possible d’advenir entre, les choses et le photographe, la photo et le regardeur, la photo et le non photographique. Cette attraction partagée nous mène au-delà de l’image, dans une dynamique du regard particulière, chère à Daniel Arasse lorsqu’il se penchait sur la peinture.

Et la matérialité du support y contribue discrètement. L’impression sur bâche, à l’inverse des habitudes du lisse et du brillant sur papier, confère une épaisseur, un grain qui prend tout son sens dans les grands formats : à vouloir y regarder de plus près on n’y voit pas mieux mais au-delà. Un des enjeux des recherches à venir pour l’artiste photographe.

CLAUDE LORIN 

mai 2012